Alors qu’ils posent les jalons d’un corpus qui va les rendre
célèbres (Détroit, vestige du rêve américain, publié aux éditions Steidl
en 2010), Yves Marchand et Romain Meffre découvrent
pour la première fois en 2005 l’intérieur d’une salle de cinéma
américaine. Pendant quinze ans, alors que leur pratique
commune pour la photographie et leur passion pour les
endroits secrets les mènent à travers les ruines urbaines du
monde entier, ils vont arpenter les États-Unis à la recherche de
ces « movie theaters » tout droit sortis de l’âge d’or du 7e art
outre-Atlantique. Le duo visite des centaines de salles obscures
avec un but : dresser l’inventaire, la typologie de ces étranges
vestiges d’Hollywood endormis, mémoire d’une époque où
l’on sortait au cinéma comme on allait à l’opéra.
Certaines salles ont perdu de leur superbe, presque laissées
à l’abandon, à peine éclairées par quelques ouvertures vers
la lumière du jour. D’autres sont entièrement plongées dans
l’obscurité. Enfouies sous la poussière ou dans l’oubli. Le duo
français découvre aussi, au gré ses explorations, des salles
transformées en débarras géants, en lieux de stockage, en
supermarchés ou en grands magasins, voire complètement
métamorphosées en salles de sport, parfois même en
chapelles…
Marchand et Meffre capturent tous les détails, s’aventurant dans les parties interdites au public. Leur mission
d’exploration nécessite un long travail de recherche et des
démarches pour recueillir toutes les autorisations préalables.
Rien n’est laissé au hasard.
Pour saisir ces décors triomphants et ces monuments somptueux,
clins d’œil aux salles de spectacle à l’italienne d’influence
baroque et Art déco, ils utilisent une chambre photographique 4x5 pouces. Un travail précis et physique. Le cadrage est
minutieusement préparé. Surtout rien ne doit être bougé.
Les photographes s’engagent à ne pas modifier la scène qui
s’offre devant leurs yeux. Parfois, quand il y a trop d’obscurité,
ils ont recours à un temps d’exposition exceptionnellement
long, durant lequel ils balaient la salle et ses détails à l’aide de
torches tenues à bout de bras. Une danse avec la lumière qui
n’est pas sans rappeler une technique déployée dans l’entre-deux-guerres par l’Allemand Karl Hugo Schmölz dans les salles
obscures de la Ruhr.
Après quinze ans de pérégrinations, le duo de photographes
est arrivé au point conclusif de cette longue série, publiée chez
Prestel en décembre 2021.
Épilogue est la dernière partie de cette somme, présentée en
différents chapitres à la galerie Polka depuis 2012. Autour
d’une sélection d’inédits, voici le lever de rideau et le clap de fin
d’une aventure hors du commun.