Colloque international sous le marrainage de Geneviève Fraisse. Au cœur des enjeux contemporains qui façonnent notre société, le féminisme émerge comme un phénomène incontournable, réinventant les fondements de la démocratie et de la liberté individuelle.
Longtemps conçu comme le « contretemps » des luttes sociales
(Fraisse, 2020), le féminisme s’impose maintenant comme une force
politique, intellectuelle et sociale qui devient un moteur principal des
transformations globales (De Miguel, 2015). Aujourd’hui, un axe majeur
et constitutif du débat s’articule particulièrement autour de la notion
désormais essentielle de consentement, ou plutôt de capacité ou droit à
consentir. Celui-ci établit un lien entre les domaines public et privé,
entre féminisme et démocratie, contribuant alors à une redéfinition de
cette dernière dans laquelle les limites et la légitimité de la liberté
se voient repositionnées et la question de l’égalité des droits
réinterrogée.
C’est pourquoi un champ épistémologique du féminisme – lequel souffre
de sérieuses dissensions internes – s’avère plus que nécessaire, dans
un cadre inéluctablement multidisciplinaire et transversal, qui doit
également tenir compte des voix du grand public (avec qui la dialogue
doit être présent en tout moment). Il permettra en effet de soulever les
nombreuses questions qui saisissent cette problématique, qu’il s’agisse
de redéfinir le « sujet féministe », de mettre en lumière les
dissensions qui existent autour de la libération sexuelle, d’aborder la
problématique de la réappropriation du corps et du plaisir comme
parcours identitaires (de reconnaissance et de maîtrise de soi), de la
place de l’intime et du désir (sur le plan individuel, mais aussi
amoureux, familial et domestique, « le mal qui n’a pas de nom »
[Friedan, 1963]), d’établir la généalogie de l’émancipation et de la
domination ou d’analyser la viabilité du discours néolibéral dans les
théories féministes.
Le dialogue permet la création de théorie, et la théorie permet de «
voir » (Amoros, 2005), d’élucider le fonctionnement historique et social
de la sexuation, de jauger son impact dans les rapports de pouvoir, et
d'analyser ses implications dans le domaine de la démocratie. Le
consentement, y compris sexuel, porte parfois sur des aspects plus
larges, qui conduisent même à se demander si, en réalité, nous nous
confrontons à l’idée de devoir choisir entre l’égalité et la liberté.
Ce colloque international organisé par la Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH), se tiendra le 30 mai 2024.
Programme
9h | Avant-propos avec les membres du Directoire et Pascal Rouleau (directeur des Éditions de la MSH)
9h15 | Ouverture du colloque par la philosophe Geneviève Fraisse
Session 1 : Consentement et démocratie. Cadre juridique et constitutionnel
9h30
| Le consentement et son ombre : regards philosophique et juridique sur
un concept essentiellement contesté – avec Maxence Christelle
Dans sa contribution, Maxence Christelle étudie la possibilité de qualifier le concept de «consentement» comme concept essentiellement contesté (essentially contested concept).
Pour ce faire, il s’agira d’observer si, philosophiquement et
juridiquement, il existe bien un accord autour de la nécessité du
consentement, avant d’étudier comment ce concept fait l’objet de
variations relativement à la signification et au rôle qui lui sont
prêtés, et cela aussi bien en philosophie qu’en droit.
9h50
| Du consentement à la contrainte patriarcale, le débat sur la
définition du viol en droit pénal français – avec Frédérique Pollet
Rouyer
Frédérique Pollet Rouyer nous
parlera du débat grossissant parmi les féministes sur la nécessité ou
pas de redéfinir le viol. Alors que l’on doit au féminisme d’avoir mis à
jour les violences sexuelles comme instrument du pouvoir patriarcal, la
notion de consentement semble piéger ce débat. Pourtant, n'est-ce pas
moins en réalité cette notion que celle de contrainte dans une société
inégalitaire que ce débat convoque, comme la critique partagée de son
usage tout aussi aléatoire que partiel, si ce n’est partial, par la
justice française, avec pour objectif commun la nécessité d'y remédier ?
10h10 | La loi du « solo sí es sí » (Espagne, 2023), état de la question – avec Claudia Pena
Claudia Pena
propose un état des lieux de la loi organique 10/2022, du 6 septembre,
sur la garantie intégrable de la liberté sexuelle, connu sous le nom de «
Solo sí es sí ». L’origine de la loi remonte au viol collectif survenu
lors des fêtes de Pampelune en 2016, dont les premiers jugements avaient
classé l'affaire comme abus sexuel et suscité une forte mobilisation de
l'opinion publique, sous les slogans « no es abuso, es violación », « hermana, yo sí te creo » et « solo sí es sí ».
Session 2 : L’intime. Ambigüités du consentement
11h | Pourquoi céder n’est pas consentir – avec Clotilde Leguil
Clotilde Leguil
déchiffre l’énigme du consentement comme expérience subjective, en
interprétant l’aphorisme « Céder n’est pas consentir » depuis la
psychanalyse. Si le consentement est une expérience troublante et
troublée, il est néanmoins nécessaire de distinguer le consentement du
"forçage". Il n’y a pas de consentement éclairé, en matière amoureuse et
sexuelle, néanmoins il y a une frontière entre le « consentir » et le «
céder à la situation » - qui est aussi la définition lacanienne du
trauma. Cette frontière se situe dans le corps. Cette distinction
comporte des enjeux cliniques et éthiques.
11h20 | Consentement vicié et désir mutilant : le cercle vicieux de la « libération sexuelle» – avec Annie Ferrand
À partir de quelques exemples de rencontres et de « négociation » d'interactions sexuelles entre femmes et hommes, Annie Ferrand
éclaire d'un point de vue du féminisme radical, les enjeux éthiques,
judiciaires ou psychologiques des notions de consentement, de désir, de
liberté sexuelle et de scripts hétérosexuels. En centrant son propos sur
le moment de séduction et de négociation, elle met en lumière les
contours d'un « malentendu » entre les sexes déterminé par les
inégalités sexistes, et dont on peut dire qu'il constitue un vice
structurel de consentement pour les femmes.
11h50 | «
Avoir envie de temps en temps ». Une analyse du consentement au sein de
couples hétérosexuels – avec Emmanuelle Santelli
À partir d’une
enquête réalisée auprès d’une quarantaine de personnes vivant en couple
hétérosexuels, à propos de leur sexualité, Emmanuelle Santelli aborde
la question du consentement dans le cadre de la « sexualité ordinaire
». Devenue un indicateur de l’entente au sein du couple, la sexualité
conjugale est également censée être régulière et épanouissante. D'après
des récits de femmes, l'intervenante met en avant que cette sexualité
n’est pourtant pas toujours (souvent) satisfaisante et étudie ce que les
femmes signifient lorsqu’elles déclarent qu’il faut « avoir envie de
temps en temps ».
12h10 | Éléments de réflexion sur le consentement dans les soins « gynécologiques » – avec Lucile Ruault
À partir d'enquêtes menées sur les soins dans le domaine gynécologique, Lucile Ruault propose
de réfléchir sur les conditions d’une approche exigeante du
consentement des usagères des services de santé. Pour viser un horizon
de soins plus égalitaires, voire émancipateurs, elle s'attache à montrer
que le partage des connaissances (sur les techniques, les effets et les
risques de chaque intervention, le niveau de douleur, etc.) ainsi que
l’usage de compétences relationnelles sont de puissants leviers
favorisant le respect du consentement.
Session 3 : Histoire culturelle. Mémoire et réflexion
14h | Cornelia Bororquia, une victime espagnole du non-consentement au temps des Lumières – avec Juan Manuel Ibeas
Juan Manuel Ibeas analysera l'ouvrage Cornelia Bororquia ou La victime de l’Inquisition
de Luis Gutierrez, qui constitue un cri de dénonciation des pratiques
religieuses abusives contre les femmes dans l’Espagne du début du XIXe
siècle. Dans son récit, l’auteur expose les souffrances physiques et
psychologiques infligées aux femmes, souvent accusées de manière injuste
de pratiques hérétiques. Le harcèlement n’est plus présenté comme une
forme de séduction, comme on aurait pu le croire dans les textes
libertins de la période précédente. Bien au contraire, l’auteur expose
de manière poignante les abus perpétrés par le pouvoir mâle et souligne
l’impact dévastateur de ces pratiques sur les femmes de l’époque. Ce
texte émerge comme un appel puissant à la conscience collective,
invitant les lecteurs et les lectrices à réfléchir les conséquences
dévastatrices des abus institutionnalisés sur les femmes.
14h20 | L’Événement, récit autour du consentement – avec Lydia Vázquez
À travers l'ouvrage d'Annie Ernaux, Lydia Vázquez
expose l'évolution sociale des concepts de viol et de consentement,
tous deux ayant varié dès l'époque narrée par Ernaux à nos jours. Force
sera de constater que ce qui paraissait « normal » à une certaine
époque, est aujourd'hui conçu comme une agression violente de l'homme
envers la femme, et que ce qui était perçu comme un acquiescement,
maintenant est jugé comme un non consentement.
Session 4 : Progrès social : démocratisation du savoir, néolibéralisme et émancipation
15h10 | Les femmes peuvent-elles consentir à l’hétérosexualité ? – avec Jules Falquet
En s’appuyant sur les réflexions de Wittig et de Tabet, ainsi que sur les résultats de la CIVIISE notamment, Jules Falquet
montrera que parler de consentement dès lors que ces hommes, que l’on
appelle les femmes, sont écartées de l’accès aux ressources et aux
connaissances (notamment dans le domaine de la sexualité), et assiégées
par la violence des autres hommes, avère que la question du consentement
s’encadre dans le continuum de l’échange économico-sexuel. Cette
réalité ressemble furieusement à ce que Wittig a appelé « devenir une
femme », ou être hétérosexualisée, que ce soit côté mariage ou côté
travail du sexe. Je soulignerai l’imbrication des rapports sociaux
d’appropriation racistes-coloniales et d’exploitation de classe, avec
les rapports sociaux de sexe. Elle s’intéressera enfin à ce qui se passe
du côté de celles qui ne consentent pas et cherchent à s’organiser
collectivement non seulement pour échapper au destin qui leur est
promis, mais pour renverser la table.
15h30 | Consentement et pornographie : questionnement sur le réel et les représentations – avec Mélanie Jaoul
Mélanie Jaoul remonte jusqu'aux années 70 et les sex wars,
depuis qu'un débat fait rage : la pornographie a-t-elle sa place dans
un monde qui prône l'égalité de genre ? Certains courants postulent que
la pornographie, à l'instar de la prostitution, est une violence faite
aux femmes et qu'aucune ne pourrait réellement consentir - sans être
victime de la société patriarcale - à réaliser des scènes que d'aucun
jugerait avilissantes. Pourtant, des militantes, se qualifiant de «
sexworker » (travailleuses sexuelles ou travailleuse du sexe) et prônant
une posture pro-droits, n'ont eu de cesse de vouloir normaliser la
pornographie, faire appliquer le droit en la matière et au-delà lutter
contre le stigma. Dans cette intervention, l'état du droit en la matière
et les conditions nécessaires à la manifestation du consentement seront
questionnés.
15h50 | Agentivité sexuelle ou
désempouvoirement : quelle politisation de la biographie sexuelle chez
les hommes cisgenres hétérosexuels ? – avec Tanguy Grannis
Dans un contexte de critique féministe de la notion de consentement et de discussions sur le continuum des violences sexuelles, Tanguy Grannis
propose d'étudier les formes que peuvent prendre la prise de conscience
de l'asymétrie des rapports de genre dans la sexualité, chez des hommes
participant de la masculinité hégémonique, c'est-à-dire blanche,
cisgenre et hétérosexuelle. Notamment, comment ces hommes intègrent-ils
ces critiques féministes, qui touchent à l'intime aussi bien qu'au
politique, à leur biographie sexuelle ? Cette intervention énonce l'idée
que des pratiques collectives de remémoration de situations dans
lesquelles les hommes ont pu subir des actions non consenties, peut les
sensibiliser à la notion de justice sexuelle au cœur de la
problématisation féministe du consentement.
16h35 | Table ronde - Prostitution : le consentement est-il un garant de droits ? Repenser le féminisme en démocratie
En
présence de Sandra Laugier, Amar Protesta, Annie Ferrand, Mélanie
Jaoul, Tanguy Grannis, Lydia Vázquez, Jules Falquet et Ghada Hatem.
Les intervenants et intervenantes
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Sandra Laugier
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Geneviève Fraisse
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Lucile Ruault
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Maxence Christelle
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Juan Ibeas
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Frédérique Pollet Rouyer
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Lydia Vasquez
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Claudia Pena López
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Jules Falquet
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Clotidle Leguil
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Mélanie Jaoule
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Annie Ferrand
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Tanguy Grannis
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Emmanuelle Santelli
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Amar Protesta
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Ghada Hatem