Les mots de Didier Eribon, dits par l’actrice Adèle Haenel, accompagnent Retour à Reims (fragments)
de bout en bout, sans jamais réduire le film à une simple lecture
«augmentée». L’œuvre cinématographique reprend toutefois à son compte la
structure même du récit, le passionnant entrelacement que fait Eribon
entre d’une part des éléments autobiographiques - son histoire familiale
et son enfance à Reims dans une famille d’ouvriers - et d’autre part
une réflexion de nature sociologique et politique sur les classes
sociales et la construction des déterminismes sociaux.
Les images et extraits qui composent ce film de montage sont issus du
patrimoine cinématographique et télévisuel français (fictions,
documentaires, actualités) et le film est découpé en deux mouvements:
l’un fait entrer le spectateur dans la vie d’une famille ouvrière qui
subit les aléas de sa condition, l’autre explique comment s’est
organisée collectivement la résistance à ce quasi-esclavage. Le premier
mouvement s’amorce avec un extrait de film sur les filles-mères, une
ouverture symbolique qui souligne le statut particulièrement défavorable
des femmes et qui sera suivie par l’évocation des avortements
clandestins, du harcèlement sexuel, de la double journée des ouvrières,
dites «émancipées» parce qu’elles ont un emploi en dehors du foyer. La
vie des hommes n’est guère plus enviable, entre la dureté du travail à
l’usine, les enfants trop nombreux à la maison et les beuveries entre
copains. Le plus désespérant est sans doute la conscience de l’injustice
du rapport de classe, conscience qui s’exprime dans le deuxième
mouvement du film, à partir de l’appel de La Vie est à nous
(1936) : «Camarade, reprends confiance, tu n’es pas seul». Le corps
social se soude et se divise au rythme des espoirs et des désillusions
qui agitent les époques. Bientôt, la classe ouvrière se détachera des
partis politiques classiques pour rejoindre, d’abord timidement puis
plus massivement, l’extrême droite. À ce tableau grinçant d’une
population qui se referme sur elle-même, Jean-Gabriel Périot a voulu
opposer en épilogue le réveil de la jeunesse, le retour de l’engagement
et de l’action, la velléité de redonner du sens à la lutte, aux luttes, à
toutes les luttes.