À la bibliothèque Delbo, flânez au rayon « Éros »

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Mise à jour le 05/01/2022

Contes Immoraux
Depuis 2008, la bibliothèque Charlotte Delbo est la seule à proposer à Paris un espace entièrement dédié à la littérature érotique, pudiquement nommé « Éros », rendant ainsi ses lettres de noblesse à un genre trop souvent méprisé. Visite guidée avec Jacques Astruc, fidèle gardien du temple.
Injustement réduit aux romances insipides ou, à l’autre bout du spectre, aux outrances du divin marquis, le genre érotique est un domaine d’une étendue et d’une diversité insoupçonnées. C’est également un domaine subjectif, au sens où ses frontières demeurent floues, mouvantes, propres à l'appréciation de chacun.
Définir la limite entre érotisme et pornographie fait ainsi l’objet d’un éternel débat, qui devait déjà animer les feux de camp au temps des hommes des cavernes. L’érotisme des uns est la pornographie des autres, et inversement. Par ailleurs, le sexe comme sujet ou élément moteur d’un ouvrage est-il érotisme ?
Le texte « normal » d’un auteur d'ordinaire frappé du sceau de l’infamie érotique doit-il être le voisin de rayon d’un livre gorgé de sexe d’un écrivain dit « normal » ?

Richesse et histoire d'un territoire érotique

À ces questionnements, Jacques Astruc, responsable des achats adultes de la bibliothèque, et plus particulièrement de ceux du rayon érotique, a pris l’heureuse décision de ne pas répondre.
Sur les étagères d’Éros se côtoient des bandes dessinées explicites ou plus suggestives, des classiques intemporels, des romans récents de grands noms ou d’auteur.e.s confidentiel.le.s, des livres d’art magnifiques, des fanzines, des revues ou encore des essais sur toutes les facettes de la sexualité.
La variété de l’offre (plus de 600 ouvrages) permet aux connaisseurs, amateurs, curieux ou néophytes de trouver à coup sûr leur bonheur, d’autant que Jacques Astruc a tenu à compléter le fonds de dizaines d’ouvrages sur des thématiques LGBT.
Eros, fonds érotique de la bibliothèque Charlotte Delbo
L’histoire du quartier a beaucoup compté dans la décision de créer ce fonds unique en son genre : les « belles dames » du Jardin du Palais-Royal en étaient des figures dès la Régence, nombre de maisons closes y fleurissaient au XIXe siècle, tandis que la rue Sainte-Anne était dans les années d’après-guerre le rendez-vous secret des boîtes où messieurs et mauvais garçons se rencontraient…
La bibliothèque Vivienne possédait déjà un certain nombre de livres dits licencieux, mais c’est surtout à l’occasion de sa réouverture sous le nom de bibliothèque Charlotte-Delbo (une grande résistante, déportée et témoin privilégiée par son œuvre de l’horreur des camps), en février 2008, et sous haute influence de l’exposition « L’Enfer » à la BNF, qu’est décidée la création d’un fonds spécifique dédié à l’érotisme.

Un petit écrin de plaisirs

Pour que le plaisir du visiteur soit optimal, l’espace de consultation est fort agréable. Il y a de la verdure et une fenêtre lumineuse, des fauteuils confortables et une relative quiétude.
Éros est conçu à la fois comme une petite enclave dans la bibliothèque et un prolongement des autres domaines (adultes, les enfants restent à l’étage inférieur), le seuil de l’alcôve étant surmonté d’une plaque discrète annonçant le passage dans son royaume.
Bref, pas de rideau rouge élimé à l’entrée ou de lumière blafarde sur les étals : on est entre gens de bonne compagnie, férus de culture et de découvertes émoustillantes.
L'imaginaire érotique au Japon
La clientèle d’Éros est variée, de toutes générations et de tous niveaux d’érudition en matière d’érotisme, même si l’on relève la fréquentation particulièrement assidue d’un public dit « âgé », souvent bien plus canaille que nombre de jeunes adultes.
Surtout, la provenance des lecteurs peut surprendre : la singularité de la bibliothèque attire en effet bien au-delà de l’arrondissement, et même jusqu’en province. On peut y lire en toute gratuité des œuvres licencieuses parfois introuvables, et cela vaut bien un petit voyage en Transilien.

Des sens toujours en alerte

Pour enrichir régulièrement le fonds, Jacques Astruc se tient bien évidemment au faîte de l’actualité littéraire, suit les sorties des maisons d’édition dédiées à la littérature érotique, et peut aussi parfois compter sur des dons providentiels. Notamment celui tout récent d’un parisien ayant légué à son corps défendant (un malheureux départ en Ehpad) plus d’une centaine de livres, dont de nombreuses raretés et autres pièces de grande valeur.
Signe que sa ligne éditoriale plaît aux usagers : le taux de rotation des ouvrages du fonds est supérieur à celui du reste de la bibliothèque. En clair, les ouvrages érotiques passent beaucoup plus de mains en mains…
Dirty Sexy Valley
En parcourant du regard les rayonnages, l’on se prend à rêver d’une étagère supplémentaire consacrée au cinéma, qui proposerait tant des classiques de l’érotisme que des incursions de grands cinéastes dans le genre, ou encore d’un fonds de livres audio, l’expérience purement auditive pouvant être tout aussi haletante… Dans le domaine, la politique de la bibliothèque est d’ailleurs dynamique, puisque des lectures y sont régulièrement organisées.
Devant le succès de ce fonds érotique unique, qui offre une approche dédramatisée, culturelle et artistique du sexe, on ne regrette qu’une chose : que l’expérience n’ait pas encore essaimé dans d’autres bibliothèques parisiennes…
Bibliothèque Charlotte Delbo
2, passage des Petits Pères 75002 Paris

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