Dans les secrets des eaux usées avec Thomas Thiebault, chercheur à Sorbonne Université

Interview

Mise à jour le 03/07/2025

Thomas Thiebault, chercheur à Sorbonne Université. (il analyse des eaux usées)
Depuis 2022, le projet de recherche interdisciplinaire ÉGOUT vise à mieux comprendre nos habitudes de santé, d’alimentation et de consommation… en analysant les eaux usées parisiennes ! Un terrain méconnu, mais riche d’enseignements pour la santé publique. Interview de Thomas Thiebault, spécialiste de géochimie des contaminants.

En quoi consiste votre recherche ?

Nous étudions les eaux usées brutes de la Ville de Paris, en amont des stations d’épuration, pour en analyser la composition chimique. Nous y cherchons une centaine de molécules, principalement non naturelles. Cela inclut les produits pharmaceutiques, les drogues illicites ou licites (tabac et alcool), ainsi que les pesticides. Notre objectif est de relier ces traces chimiques aux pratiques en cours au sein de la population.
Nous faisons deux prélèvements par semaine à la station Seine Centre, qui couvre environ 75 % de Paris, Montreuil et une petite partie du sud de Paris. Puis, de temps en temps, des prélèvements ponctuels dans certains quartiers. Nous analysons aussi des carottes de sédiments prélevées dans les égouts : ce sont un peu les archives chimiques de la capitale.

Qu’avez-vous découvert sur la santé ou les habitudes des Parisiens ?

Paris est une très grande ville, avec des enjeux de santé publique importants. Le réseau d’assainissement y est complexe, mais il permet d’observer des tendances à l’échelle de larges populations, ce qui évite des interprétations trop localisées ou stigmatisantes.
Sur les substances illicites, Paris se situe dans la moyenne de l’Europe de l’Ouest, avec un usage notable d’ecstasy et de cocaïne, mais loin derrière des pays comme les Pays-Bas. Pour les médicaments, on voit un usage massif du paracétamol, par exemple, avec une prévalence estimée à 5 %. C’est-à-dire qu’environ 5 % de la population en consomme chaque jour. Cela correspond aux données de prescription, mais surtout à l’usage hors prescription, qui est très courant.

Ces données peuvent-elles aider à anticiper des crises sanitaires ?

C’est tout l’enjeu. Mais on peut se préparer tant que l’on veut, si on n’a pas caractérisé ce que l’on cherche, on ne peut pas le trouver. Si des techniques exhaustives existent, elles ne permettent souvent que des analyses rétrospectives, une fois que l’on a identifié les signaux à chercher.
Par exemple, durant la pandémie de Covid, les collègues ont dit avoir retrouvé du matériel génétique de SARS-CoV-2 trois mois avant l’arrivée de la pandémie en Europe, mais ceci a été fait de manière rétrospective avec des eaux décongelées.

Ces recherches influencent-elles déjà les politiques publiques parisiennes ?

Pas encore, mais le projet ÉGOUT est vu comme une préfiguration. Il alimente les réflexions du nouveau Plan Paris Santé Environnement. L’un des axes est de savoir si les eaux usées peuvent devenir un indicateur fiable du bien-être des habitants. Reste à faire le lien entre la recherche et la décision publique, afin que les données qui dorment sous nos pieds deviennent des outils d’action pour la Ville.
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