Sylvain, égoutier, vingt ans sous les pieds des Parisiens

Rencontre

Mise à jour le 10/06/2025

Sylvain Siaume, durant sa journée de travail dans les égouts.
À l’occasion des 50 ans du musée des Égouts, nous avons rencontré Sylvain Siaume, chef d’équipe des égoutiers de la Ville de Paris, passionné par les souterrains parisiens. Un métier peut-être invisible, mais vital.
Il est à peine 6 heures du matin quand Sylvain Siaume descend sous les pavés de la Ville Lumière. Le Paris qu’il connaît sent davantage le méthane que le croissant chaud. Ici, la lumière ne vient que des casques, les bruits sont ceux des wagons de curage et la moindre erreur peut être fatale. Bienvenue dans un autre monde, celui des égouts de Paris.
Cela fait vingt ans que Sylvain, chef d’équipe, arpente les 2 600 kilomètres de galeries souterraines qui serpentent sous la capitale. Un métier de l’ombre, et c’est peu de le dire. Aujourd’hui, il exerce au musée des Égouts (7e), qui fête cette année ses 50 ans d’existence. L’occasion rêvée pour remonter à la surface et mettre un visage sur ces héros souvent invisibles. « J’aime le monde souterrain. C’est un truc qui m’a toujours plu. Chaque jour est différent », confie Sylvain, en combinaison intégrale, casque vissé sur la tête et détecteur de gaz à la ceinture.

Un autre Paris sous nos pieds

Les égouts de Paris, ce n’est pas juste une rivière d’eaux sales. C’est un monde autonome, régulé, surveillé, entretenu par des équipes d’égoutiers comme celle de Sylvain. Leur mission ? Nettoyer les collecteurs, curer les sédiments pour éviter tout bouchon, sécuriser les bassins de désensablement et maintenir un réseau vieux de plus de cent cinquante ans en état de marche. « On bosse avec des wagons ou des bateaux. Il y a des forces énormes en jeu : ce sont des millions de litres d’eau qui poussent… »
Pas de GPS ici, mais des plans, appelés « Tigre » (Traitement informatisé de la gestion du réseau des égouts), et une routine réglée au millimètre : prise de poste à 5 h 50, analyse des consignes, repérage des zones à risque, préparation des équipements de protection individuelle (EPI). Puis la descente dans le labyrinthe.

Mieux vaut ne pas être claustro

Dans les égouts, c’est le noir complet, l’odeur est… marquante et les passages sont exigus. Quand on descend, c’est comme si on rentrait dans un autre monde. Durant toutes ses années à arpenter les dédales des égouts parisiens, Sylvain, lui, a été surpris plus d’une fois. « Une tortue d’eau s’était retrouvée là, je ne sais pas comment. Je l’ai ramassée et l’ai mise dans un seau. Mais il faut faire attention : ça mord les tortues d’eau, c’est carnivore ! Et elle a fini sa vie dans le lac du golf de L’Isle-Adam (Val-d’Oise) », rigole-t-il.
Travailler dans les égouts, ce n’est néanmoins pas que des anecdotes comme cette rencontre improbable avec un crocodile, c’est bien plus dangereux… « J’ai un collègue qui a attrapé une bactérie. Cela m’a beaucoup marqué. On était en train de bosser sur un wagon et il a pris une projection d’eau. Il a craché tout de suite. Le soir, il s’est mis à vomir et a fini à l’hôpital. Il a perdu 8 kg en une semaine. »
Le danger est partout, malgré les progrès en sécurité : stop-chutes, détecteurs de gaz individuels, masques ventilés, combinaisons renforcées. Mais le métier reste exigeant, physiquement et mentalement. « Le bruit sur les engins est extrême. On ne s’entend pas. »

Un réseau unique au monde

Si Sylvain est aussi passionné, c’est qu’il admire le génie derrière les galeries. Les ingénieurs Eugène Belgrand et Pierre Emmanuel Bruneseau ont, au XIXe siècle, conçu un réseau unitaire, gravitaire et visitable : une prouesse technique encore enviée dans le monde. « C’est magique ce qu’ils ont fait. À Paris, on ne rejette plus rien dans la Seine. Tout est traité à Achères », dans les Yvelines, la plus grande station d’épuration francilienne.
Innovation majeure pour l’époque : la mise en place d’un gigantesque réseau d’égouts sous le sol parisien. En 1878, on compte près de 600 kilomètres d’égouts dans la capitale, contre 100 kilomètres en 1850. À la surface, des boulevards rectilignes, des immeubles alignés, des squares et des parcs à chaque point cardinal.
Sous l’impulsion du préfet Haussmann, Paris se transforme au XIXe siècle en une ville aux infrastructures pensées dans les moindres détails : 64 kilomètres de voirie sont percés, 600 kilomètres de réseaux souterrains, 20 000 immeubles bâtis. Un projet d’aménagement colossal, orchestré comme un tout cohérent, qui mêle esthétique, hygiène, circulation de l’air… et contrôle des flux. Un modèle si abouti qu’aucune autre capitale n’a jamais été transformée avec une telle ampleur en si peu de temps.
Alors que le musée des Égouts fête ses 50 ans, Sylvain incarne cette mémoire vivante, celle des petites mains qui empêchent la ville de déborder. Avec humour, fierté et un solide sens du collectif. Et même un pied dans la modernité : sa vidéo TikTok a fait le buzz. « Les gens nous remercient, nous applaudissent. Je pense que les Parisiens sont contents que l’on soit là. »
Le musée des Égouts vous emmène en voyage pour fêter ses 50 ans
Musée des égouts de Paris - Pont de l'Alma, Paris 7e
Du jeudi 27 mars 2025 au mercredi 31 décembre 2025
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