Artiste méconnu et mécompris, Jean-Baptiste Greuze fut pourtant en son temps acclamé par le public, adulé par la critique et désiré des plus grands collectionneurs. Il est assurément l’une des figures les plus importantes et les plus audacieuses du XVIIIe siècle en France.
Le Petit Palais (8e) rend
hommage, à l’occasion du 300e anniversaire de sa naissance, à Jean-Baptiste Greuze,
peintre de portraits et de scènes de genre qui sut traduire, plus que tout autre, l’âme humaine. Cette expo propose de découvrir son œuvre au prisme d’un thème
central : l’enfance. En écho aux préoccupations des
philosophes Diderot, Rousseau ou Condorcet, l’artiste invite à méditer la place
de l’enfant au sein de la famille, la responsabilité des parents dans son
développement et l’importance de l’éducation pour la construction de sa
personnalité.
L’avis de la rédaction
« L’enfance a des manières de
voir, de penser, de sentir, qui lui sont propres. Rien n’est moins sensé que
d’y vouloir substituer les nôtres ». Difficile de contredire ces mots écrits en 1762 par
Jean-Jacques Rousseau dans Émile ou De l’éducation. Pourtant, ils ne reflètent pas la pensée dominante du XVIIIe siècle. Et c’est précisément cette
révolution du regard que le Petit Palais met aujourd’hui en lumière à travers
l’œuvre de Jean-Baptiste Greuze. Adulé de son temps puis tombé dans l’oubli, il
fut l’un des premiers peintres à observer l’enfance comme un âge à part entière
et non plus une simple étape de la vie insignifiante.
Une enfance enfin personnifiée
Sur ses toiles d’un incroyable réalisme, on découvre des enfants au visage triste, aux yeux malicieux ou à l’air rêveur. Des portraits intimistes, souvent inspirés de son propre foyer, qui ne se contentent pas d’incarner un idéal familial où règnent harmonie et tendresse. Car derrière l’apparente douceur de ces scènes de genre, Greuze révèle surtout les failles d’une société dysfonctionnelle, dont l’enfant est la première victime. Balloté, ignoré, abusé, du berceau aux prémices de l’âge adulte, son statut est sans cesse questionné.
La centaine d’œuvres réunies
montrent combien l’artiste s’empare de la sphère familiale pour défendre ses
convictions sur certains principes éducatifs qui divisent ses contemporains,
comme les bienfaits de l’allaitement (L’Heureuse Mère, 1766), les dangers de l’indulgence parentale (L’Enfant gâté, 1772) ou la cruauté de la mise en nourrice (Le Retour de la nourrice, 1765), pratique très courante au XVIIIe siècle, à laquelle il finira par consentir
pour ses propres filles.
Également riche en commentaires (plus légers), le parcours donne vie au propos de l’expo, en glissant çà et là de savoureuses anecdotes sur le quotidien de l’époque. On apprend par exemple que l’épagneul était le chien à la mode ou encore que la chemise de nuit était de rigueur, bien avant que le pyjama ne fasse son apparition à la fin du XIXe siècle.
La modernité d’un regard
Et c’est d’ailleurs toute la force de cette exposition : elle raconte le siècle des Lumières, depuis l’intimité des foyers jusqu’aux débats publics, tout en révélant la modernité d’un artiste longtemps réduit à la sensiblerie. Qualifié de mièvre et moralisateur, c’est pourtant son esprit rebelle que le public découvre aujourd’hui.
Jean-Baptiste Greuze était un peintre insoumis qui, au-delà de son couple tumultueux, des scandales auprès de l’Académie royale et de sa brouille avec Diderot, n’a pas hésité à se saisir de son art pour faire entendre la voix de toutes les victimes silencieuses de son temps : des jeunes filles violées, des femmes agressées, des enfants malmenés. Et plus de deux siècles plus tard, force est d’avouer que ses toiles brillent par leur étonnante lucidité.