Le film News from Home (1977) de Chantal Akerman constitue
le point de départ de l’exposition, mettant en lumière avec une acuité
saisissante la complexité de l’amour maternel. À la fois refuge et piège
insidieux, cet amour, que la mère de la vidéaste exprime dans les lettres
qu’elle adresse à sa fille alors installée à New York, oscille entre tendresse,
culpabilisation et infantilisation. Cette contradiction – que j’appelle férocité – est au cœur de l’exposition. Elle se déploie dans des œuvres où la figure maternelle hante l’espace de
sa présence aussi diffuse qu’oppressante, qu’il
s’agisse d’une mère droite mais spectrale dans la fresque murale de Rosemarie
Trockel, d’un environnement familier en chantier de Tolia Astakhishvili ou des
balustrades fantomatiques de Rosa Joly. Le foyer, traditionnellement perçu
comme un cocon protecteur, devient ici le théâtre du trouble, un territoire
d’incertitudes où l’espace intime est précaire et fragile. Les sculptures et
wall-tattoos de Cudelice Brazelton IV, ainsi que l’installation vidéo d’Harilay
Rabenjamina, mettent en lumière une figure maternelle relayant des normes
sociales et esthétiques, modelées par l’assimilation de la violence raciale et
du classisme. Les peintures de Sebastian Wiegand prolongent quant à elles la
réflexion à l’héritage politique occidental des années 1960 et 1970. Le choix
de couleurs jaune-orange mêlées aux représentations de style hippie convoquent
l’utopie d’une époque marquée par les élans féministes et les espoirs
révolutionnaires. Étendue sur son canapé, la mère y apparait pourtant à bout de
force.
Entre présence et absence, tendresse et dépossession, singularité et transmission des constructions sociales, ces œuvres dessinent une cartographie nuancée du lien maternel. L’amour, loin d’être un rempart absolu, n’épargne ni les contradictions inconscientes inhérentes à la parentalité, ni les relations dysfonctionnelles. Tandis que la société (dans une famille nucléaire classique) assigne à la mère le rôle de gardienne du foyer, le père en contrepartie occupe bien souvent une position marginale. Dès lors, la question de l’amour ne peut être dissociée de celle de la place assignée à la mère dans une société patriarcale : quels comportements cette assignation engendre-t-elle ? Quelles en sont les répercussions ?