Sébastien Marrec est chercheur en aménagement et urbanisme à la Ville de Paris. Il revient sur la vaste réforme du stationnement annoncée par la Ville de Paris, qui vise à convertir près de la moitié des places de stationnement en d'autres usages (pistes cyclables, végétalisation, aménagement des trottoirs, etc.).
Sébastien Marrec : L'idée de
la réforme du stationnement est de révéler le potentiel de l’espace public parisien
pour d'autres usages que ceux liés aux véhicules et de refléter la réalité des déplacements.
197 hectares, soit 8 % de l'espace public, sont occupés
par le stationnement motorisé, voiture et deux-roues motorisés (2RM) à Paris.
C'est une surface gigantesque. Ces 135 000 places équivalent quasiment à
l'ensemble des 17 parcs de Paris (en ne comptant pas les bois de Boulogne et de
Vincennes).
Or l’espace est une denrée rare à Paris, 7
e ville
la plus densément peuplée au monde. Cette réforme inédite en soi va permettre de réinventer
60 hectares qui sont stérilisés, en particulier dans les rues étroites où
l’omniprésence du stationnement permettrait l’installation de terrasses, de bancs, le jeu des enfants et la
plantation d’arbres. C’est
une opportunité inédite pour se projeter
dans
la ville du quart d’heure promue par le scientifique Carlos Moreno.
Ce choix reflète aussi la prise de conscience que dans une capitale aussi compacte, une si forte occupation de l’espace public pour un usage privatif représente une anomalie, un anachronisme.
65 % des Parisiens n’ont pas de voiture, un chiffre en hausse constante, et la circulation automobile a diminué de moitié depuis la fin des années 1990.
Sébastien Marrec
Chercheur en aménagement et urbanisme à la Ville de Paris
D’autant
que 65 % des Parisiens n’ont pas de voiture, un
chiffre en hausse constante, et que la circulation automobile a diminué de
moitié depuis la fin des années 1990, à mesure que l’espace public était
rééquilibré en faveur des piétons, des cyclistes, du bus et du tramway.
La
marche, le premier mode de déplacement à Paris et même en Île-de-France,
continue de progresser,
a fortiori depuis la crise sanitaire. L’usage du vélo a quant à lui connu un essor impressionnant depuis 2018. En 2020, on a comptabilisé 57 % de
déplacements à vélo supplémentaires hors périodes de confinement. Sur des axes
comme les boulevards Magenta, Voltaire et Sébastopol, il passe plus de vélos
que de voitures aux heures de pointe.
En clair, on veut favoriser la pratique de la marche et du vélo ?
Pas seulement ! Outre ce rééquilibrage de l’espace, il est également
nécessaire de supprimer du stationnement pour planter massivement afin de
lutter contre les îlots de chaleur. Des
quartiers entiers sont « carencés » en arbres, essentiels pour
atténuer les impacts de la ville au dérèglement climatique.
Si on
ne transforme pas les rues en corridors végétaux, la ville va devenir invivable
aux périodes chaudes, appelées à être de plus en plus nombreuses et intenses.
La suppression du stationnement permet non seulement de récupérer de l’espace
pour la végétalisation, au détriment du bitume qui absorbe la chaleur, mais
aussi de réduire le trafic par la diminution de l’offre de stationnement sur
voirie.
Pour rappel, selon Airparif, les transports représentent 27 % des émissions régionales de gaz à effet de serre, et la voiture particulière compte pour plus de la moitié dans ces émissions.
Concrètement, que va-t-on faire de ces espaces libérés de leur emprise ?
La suppression des
places permettra d'élargir les trottoirs,
mais aussi de réduire les conflits entre usagers, de planter des arbres, de
créer des rues aux écoles, de compléter un réseau cyclable cohérent. Tout un
ensemble de programmes que la Ville porte, en parallèle d’un nouveau Code de la
rue pour sensibiliser les usagers aux bonnes pratiques.
Une transformation de mobilité et d'urbanisme majeure interviendra dès l’an prochain, avec
la mise en
zone à trafic limité (ZTL) du centre de Paris, de la place de la Concorde à
celle de la Bastille, et du boulevard Saint-Gemain rive gauche aux Grands Boulevards rive droite. Dans ce périmètre où circulent actuellement
180 000 véhicules, les accès seront restreints et la demande de
stationnement diminuera fortement.
Les
riverains, les personnes à mobilité réduite (PMR), les taxis, les artisans et
commerçants pourront continuer à y circuler, comme c’est déjà actuellement le
cas rue de Rivoli. Le dispositif devrait permettre de réduire de 40 et 60 % le
trafic motorisé selon les rues et les heures de la journée.
Seules 3 % des 300 stations de métro sont accessibles
aux personnes en fauteuil roulant. Les bus et les tramways ne desservent pas
tous les quartiers et les correspondances ne sont pas toujours aisées.
La
voiture est donc indispensable à la plupart des personnes à mobilité réduite et le
stationnement qui leur est consacré sera sanctuarisé et renforcé. 1000 nouvelles
places PMR sont prévues, ce qui portera leur nombre à 5500. Les places PMR en
sous-sol deviendront gratuites.
Rappelons que malgré la suppression de 60 000 places, il en restera plus de 70 000 dans les rues, plus de 140 000 dans les parkings en ouvrage et 520 000 dans les sous-sols des immeubles de logements ou de bureaux. Il y a cinq fois plus de places en souterrain qu’en surface. Il s’agit aussi d’assurer une meilleure cohérence tarifaire entre le stationnement en surface et les parkings souterrains pour optimiser l’usage de ces derniers.
Quid des professionnels ?
Les livreurs ont besoin d’une forte rotation des véhicules sur les
places pour y accéder plus facilement. La réforme permettra de revoir les
places en termes de maillage, de dimensions, d’équipement, de normes
d’accessibilité. À plus long terme, il est prévu de permettre via une
application à tous ceux qui ont vraiment besoin de stationnement au quotidien
de connaitre en temps réel l’offre et la disponibilité des places.
Les véhicules partagés, peu consommateurs d’espaces (1 voiture partagée
remplace en moyenne 8 véhicules particuliers) verront aussi leur stationnement
sur voirie être maintenu pour davantage de visibilité. Une offre plus lisible,
des incitations tarifaires et leur mise en accessibilité favoriseront leur
usage.
Ailleurs dans le monde, le stationnement est-il moins cher qu’à Paris ?
Non. En réalité, c'est Paris qui est une exception, tant le stationnement y est peu cher depuis longtemps. Surtout si l'on s’amuse à comparer le coût du stationnement pour l’usager par rapport à la valeur locative parisienne au m².
Pour un usage de courte durée, le coût du stationnement est plus avantageux dans la rue que dans les parkings souterrains, à l’inverse d’autres villes en France et ailleurs. Les tarifs sont globalement bien moindres que dans d’autres capitales européennes : 2,4 à 4,4 € l’heure à Paris contre 4,8 € à Madrid, 7,65 € à Stockholm et 8 € à Londres. Le tarif mensuel unique du stationnement sur voirie à Paris, 50 € par mois, reste en moyenne trois fois inférieur aux prix pratiqués en sous-sol.
Rien d’étonnant donc à ce que les Parisiens privilégient dans leur majorité le stationnement sur voirie, malgré l’offre abondante en sous-sols, qui se retrouve sous-utilisée. C’est pour cela que les tarifs augmentent à partir du 1er août pour les visiteurs uniquement : le tarif passe de 4 à 6 € l’heure dans les arrondissements centraux et de 2,4 à 4 € l’heure dans les arrondissements périphériques. Les forfaits post-stationnement vont également augmenter.
Plusieurs grandes villes ont déjà rendu payant le stationnement des 2RM : Tokyo, Taipei, New York, San Francisco, Londres…
Sébastien Marrec
CHERCHEUR EN AMÉNAGEMENT ET URBANISME À LA VILLE DE PARIS
L’application de disponibilité en temps réel, qui permet la préréservation, et une signalétique repensée, plus explicite, redonneront prochainement de la visibilité aux parkings en ouvrage. Plusieurs grandes villes ont déjà rendu payant le stationnement des 2RM : Tokyo, Taipei, New York, San Francisco… À Londres, dans la Cité de Westminster, les conducteurs de 2RM peuvent se garer dans des emplacements dédiés pour 1 livre par jour, ou 100 livres par an (116 euros).
La mesure a été mise en place en 2008, après la création du péage urbain et l’afflux de 2RM qui a suivi. En France, les villes de première couronne
Vincennes et
Charenton-le-Pont font figure de pionnières depuis avril 2018, avec de bons résultats : les deux-roues motorisés ventouses se sont évaporés et les trottoirs ont été libérés.
La nouvelle politique de stationnement prendra en compte la différence d'occupation d'espace entre la voiture et le 2RM. Leurs conducteurs ne paieront que la moitié de ce que payent les automobilistes.
Pourquoi la voiture a-t-elle historiquement une place aussi importante à Paris ?
La voiture n’a jamais été le mode majoritaire à Paris, même à l’époque où les pouvoirs publics ont concentré leurs efforts pour l’adapter à l’automobile. La marche est toujours restée le principal mode de déplacement, devant les transports en commun. Mais si l’espace public a fini par être considéré comme gratuit, accaparable par les automobilistes pendant des décennies, c’est parce que la voiture était jugée moderne, pratique, incontournable, et que les piétons et les cyclistes, rangés dans la catégorie des obstacles à la circulation, devaient leur laisser la place.
Jusque dans les années 1980, l'espace public parisien était saturé de voitures. Les places étaient soit d'immenses carrefours, soit d'immenses parkings à ciel ouvert, parfois un mélange des deux. Il y avait du stationnement sur les berges de Seine, le long du canal de la Villette, sur toutes les places (Vendôme, Hôtel de Ville, Concorde, Bastille) et même devant Notre-Dame. Afin de soulager la voirie et dégager les places et les édifices de la présence automobile, des dizaines de parkings souterrains ont été ouverts à partir de 1964, en plus d’immeubles à voitures. Par la suite, dès les années 1980, une armée de potelets et de barrières a été installée pour juguler le stationnement sauvage envahissant.
Depuis vingt ans, les deux-roues, plus pratiques, plus économes en espace, ont à leur tour envahi les rues : les potelets ne les empêchent pas de rouler et de se garer sur les trottoirs et ils ont profité des abaissements des bordures de trottoirs prévus pour l'accessibilité des personnes en situation de handicap. Il apparaît de plus en plus que les 2RM, dans un espace urbain dense, ne sont pas davantage que la voiture une solution de déplacements de masse. Même s’ils prennent moins d’espace, leur augmentation a multiplié aussi leurs nuisances disproportionnées qui affectent l’ensemble de la population.
Quelle place pourraient avoir la voiture individuelle et les 2RM dans la ville de demain ?
Une place résiduelle, avant tout pour les personnes qui n’ont
vraiment pas d’autre choix que de conduire un véhicule motorisé, en particulier
dans les villes déjà denses ou qui se densifient. La voiture n’a aucune raison
d’être prépondérante comme elle l’est aujourd’hui, au regard des enjeux de ce
siècle et de la recherche de qualité de vie.
Les contraintes budgétaires, à chaque crise, rappellent aussi
opportunément qu’investir pour encourager la marche, le vélo et dans une
moindre mesure les transports publics coûte infiniment moins cher qu’investir
pour la voiture. Des finances contraintes peuvent ainsi favoriser un système de
déplacements plus sobre.
Un cycliste utilise environ quinze fois moins d’espace qu’un automobiliste en circulation et en stationnement.
Sébastien Marrec
CHERCHEUR EN AMÉNAGEMENT ET URBANISME À LA VILLE DE PARIS
Un nombre croissant
d’élus prennent conscience qu’un cycliste utilise environ quinze fois moins
d’espace qu’un automobiliste en circulation et en stationnement, chiffre
calculé par l’économiste et urbaniste Frédéric Héran. Et qu’en zone dense, il
ne sert à rien de redonner de l’espace à la voiture, qui prend tout l’espace
qu’on lui attribue et finit inévitablement par subir la congestion. Un quart du
temps de conduite d’un automobiliste en ville est consacré à chercher un
stationnement ! L’inverse est de mieux en mieux connu et observé :
quand on réduit la capacité de la voirie, le trafic motorisé s’évapore en partie.
Malgré leurs
nombreuses nuisances, ils bénéficient d'un laxisme depuis leur diffusion
massive, dans la période d'après-guerre, période où ils sont devenus un
phénomène de société. Certains modèles thermiques sont particulièrement
bruyants et gâchent la vie des riverains au point qu’un collectif baptisé « Ras
le Scoot » s’est créé pour alerter les pouvoirs publics sur les
incivilités générées par les usagers des 2RM.
L’association Bruitparif, qui
évalue l'environnement sonore en Île-de-France, a montré qu'un deux-roues
traversant Paris la nuit peut réveiller 350 personnes, et jusqu’à 11 000 si le
pot d'échappement n'est pas homologué.