Série

Les 150 ans de la Commune : les racines de réformes audacieuses (4/5)

Mise à jour le 29/03/2021
Atelier de la Manufacture des Gobelins, Paris (XIIIème arr.). 1864-1875.
Séparation de l'Eglise et de l'Etat, enseignement laïque, début d'instauration de la journée de 10 heures de travail, égalité femmes/hommes, prémices de l'autogestion, etc. En quelques semaines, la Commune a lancé un train de réformes inédites pour l'époque. Certaines, plus tard, sont devenues l'alpha et l'omega de la République.
72 jours, c’est court… surtout quand les sept derniers ont donné lieu à une bataille sanglante dans les rues de Paris, raccourcissant d’autant la période inventive et créatrice de la Commune. Quoi qu’il en soit, durant ce laps de temps, les Communards ont jeté les bases de grandes réformes très audacieuses pour l'époque dans de nombreux domaines : politique, social, sociétal, justice, etc. Dans son programme daté du 19 avril 1871, le Conseil de la Commune déclare : « La Révolution communale, commencée par l'initiative populaire du 18 mars, inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique (…). »
Certes, tout a été balayé le 28 mai 1871 lorsque les Versaillais ont repris la capitale. Mais, à plus ou moins long terme, une partie au moins de l’œuvre de la Commune entrera légalement dans les faits. On songe à la séparation de l’église et de l’Etat (loi de décembre 1905) ou, chronologiquement plus proche de la Commune, à l’instruction laïque, gratuite et obligatoire pour les enfants des deux sexes (loi de mars 1882) ou encore, bien plus tard, au principe d’égalité entre les femmes et les hommes (Constitution de 1946 puis loi de 1972). Tour d’horizon des réformes initiées par la Commune.

Des réformes pour améliorer le quotidien

Le conseil de la Commune issu des élections du 26 mars 1871 commence par régler les problèmes les plus urgents pour les Parisiens. Ce sont bien souvent les questions qui ont engendré la révolte. Ainsi, dès le 29 mars, un décret dispense du paiement des loyers entre octobre 1870 et avril 1871. Auparavant, seul un simple moratoire avait été édicté, et Thiers l’avait même supprimé.
Les poursuites concernant les échéances non payées sont suspendues. Mieux, un délai de trois ans est instauré pour le paiement des dettes. Autant de mesures destinées à soulager les classes populaires parisiennes qui avaient énormément souffert du siège de Paris par les Prussiens.
La solidarité n’est pas oubliée, avec la décision de verser des pensions aux blessés et veuves de guerre (épouses des gardes nationaux tués pendant le siège de Paris par les Prussiens). Novateur, un décret réquisitionne même des logements vacants pour les sinistrés des bombardements durant le siège. Bref, les autorités parent au plus pressé et aux difficultés de la vie quotidienne.

L’importance des questions sociales

Vingt-cinq ouvriers ont été élus au conseil de la Commune lors des élections du 26 mars 1871. Ils sont certes sociologiquement et politiquement minoritaires, mais leur influence sera grande sur les réformes sociales. Parmi eux, on trouve des « militants », notamment marxistes, tel Léo Frankel, délégué de la commission Travail de la Commune et membre de l’Association internationale des travailleurs (AIT, souvent appelée « Première internationale », créée à Londres en 1864) mais aussi des anarchistes.
Un décret du 20 avril interdit le travail de nuit dans les boulangeries et la journée de travail limitée à 10 heures commence à être instituée dans certains ateliers. Pour trouver un travail, les bureaux de placement privés - souvent qualifiés de « négriers » - sont remplacés par des bureaux municipaux, via des registres des offres et demandes d’emplois installés dans chaque mairie. La Commune interdit aussi les amendes patronales et retenues sur salaire dans les entreprises… et les administrations publiques. Pratiques alors très répandues, notamment dans les compagnies de chemin de fer.
Autre nouveauté pour l’époque, afin de lutter contre les trop bas salaires (on parlerait aujourd'hui d'« éviter le dumping social ») dans les appels d’offres pour des marchés publics, il est institué un cahier des charges avec mention d’un salaire minimum à respecter.

Les prémices de l'autogestion

C’est donc un embryon de droit du travail, alors quasi inexistant, que la Commune s’est efforcée de créer. Mais elle est allée au-delà en tentant aussi d’innover dans l’organisation de l’économie et notamment de la production.
Avec la fuite à Versailles de beaucoup de « patrons » ou propriétaires d’entreprises, nombre d’ateliers étaient à l’arrêt. Un décret du 16 avril confie alors aux chambres syndicales le soin de répertorier ces ateliers et de les remettre en route. Pour ce faire, il est prévu de créer des « sociétés ou des associations ouvrières », telle celle des « Fondeurs en fer de la rue Saint-Maur ». Une sorte « d’autogestion » avant l’heure. En effet, dans ces ateliers, un conseil de direction est élu tous les 15 jours et un ouvrier est chargé de transmettre les éventuelles réclamations. Il était même prévu de verser une indemnisation aux anciens propriétaires. Bien entendu, faute de temps, cette expérience de « propriété collective et associative des moyens de production » n’a pas être poussée très loin.
Il est à noter que toutes ces mesures sociales ont été notamment portées et encouragées par "l'Union des femmes", avec Elisabeth Dmitrieff et Nathalie Le Mel à sa tête, très en pointe auprès de la commission "Travail" de la Commune, tant le travail des femmes était profondément exploité. C’est notamment à son initiative qu’une ébauche d’égalité salariale s’instaure pour les institutrices qui obtiennent le droit de percevoir la même rémunération que les instituteurs. Une première !

« Nous ne devons pas oublier que la révolution du 18 mars a été faite par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, je ne vois pas la raison d’être de la Commune. »

Léo Frankel
Délégué de la commission" Travail"

Des transformations politiques et sociétales

Au niveau politique, la Commune est également novatrice. Officiellement, il n’y a pas de réel gouvernement, au sens entendu jusqu’ici. Le conseil de la Commune (élu le 26 mars 1871 au suffrage universel) forme en son sein 10 commissions : exécutive, militaire, subsistances, finances, justice, travail, sûreté, industrie et échanges, services publics et enseignement. Un membre de la commission exécutive est « délégué » à la tête des neuf autres commissions. Dans cette démocratie directe, tous les mandats sont impératifs et révocables (un élu peut être destitué si une majorité au sein des assemblées populaires estime qu’il ne remplit pas la mission dont il a la charge). Mais cela va beaucoup plus loin puisque la Commune décide aussi l’élection au suffrage universel des… fonctionnaires (y compris les juges).
Dans le domaine sociétal, la Commune est aussi innovante. Ainsi, les enfants légitimés sont considérés comme reconnus de droit. Le mariage libre (on dirait maintenant l’union libre) par consentement mutuel est instauré. Les actes notariaux (donation, testaments, etc.) sont… gratuits et la citoyenneté est ouverte aux étrangers.

La séparation de l’église et de l'Etat… et les exactions

C’est sur la question de l’enseignement et de la religion que la Commune a laissé son empreinte la plus visible, avec la séparation de l’église et de l’Etat décrétée le 2 avril. Certes, cette séparation ne vivra que quelques semaines, mais on le sait, dès 1905 elle deviendra officielle au sein de la République française.
Les classes populaires parisiennes étaient plutôt hostiles au catholicisme très lié à l’empereur Napoléon III. Et les théories socialistes poussent plutôt à l’athéisme. La séparation entre l’église et l’Etat conduit à ne plus considérer les prêtres comme des fonctionnaires payés par la Nation. En outre, le budget alloué aux cultes est supprimé et les biens des congrégations religieuses sont sécularisés (ce qui signifie qu'ils deviennent des biens nationaux). Les crucifix sont retirés des salles de classe.
Épisode douloureux, l’archevêque de Paris, Monseigneur Georges Darboy est arrêté comme otage. Les Communards veulent l’échanger contre le révolutionnaire Auguste Blanqui maintenu à résidence forcée en Bretagne par le gouvernement de Thiers. Celui-ci refuse le marché. L’affaire finira mal. Le 24 mai 1871 en effet, le prélat est fusillé avec d’autres ecclésiastiques en représailles de l’avance des Versaillais dans Paris et des massacres qu'ils commettent. Au total, plus d’une vingtaine de religieux seront exécutés et beaucoup d’autres seront inquiétés. Plusieurs églises seront perquisitionnées et serviront de lieux de débats et de rencontres publiques.

L'enseignement laïc

Conséquence de la séparation de l’église et de l’Etat, l’enseignement est laïcisé et l’enseignement confessionnel est interdit. Edouard Vaillant, le délégué à l’enseignement, réfléchit à une uniformisation de la formation primaire et professionnelle. Quelques mairies d’arrondissement (en charge du financement de l’enseignement primaire) rendent même l’école gratuite. C’est notamment le cas dans le XXe arrondissement. Une commission composée de femmes est également créée pour « plancher » sur l’instruction des filles…
Beaucoup de réformes donc, souvent inabouties certes. L'une d'entre elles, emblématique, était même à l'étude: le vote des femmes. Il faudra attendre 1944 pour qu'elle devienne enfin réalité.

Pour en savoir plus

Le site des Archives de Paris commémore depuis l'an dernier les 150 ans de la guerre franco-prussienne et cette année l'anniversaire de la Commune. Retrouvez les nombreux documents et publications sur le site.

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