Focus

Libération : ces lieux de sorties qui ont façonné le « Paris retrouvé »

Mise à jour le 19/08/2019
Retour sur les lieux de sorties et de loisirs, symboles de ces années de liberté retrouvée.
Sous l'Occupation, même si la vie parisienne s'organise en cohabitation "prudente", Paris n'est plus la ville de tous les plaisirs. Les mêmes chanteurs et chansonniers tournent sans cesse dans les music-halls des Grands Boulevards, peu à peu délaissés par les Parisiens. Le dernier métro passe à 23h, le couvre-feu est à minuit, aussi l'heure des spectacles est-elle avancée. Certains privilégiés, issus du milieu artistique (journalistes, chanteurs, acteurs), possèdent un laissez-passer, de nuit. Les autres doivent se résigner à rentrer tôt, ou vivre cachés.
Privée de ces virées nocturnes et de ces soirées interminables où les désirs se multiplient, toute la jeunesse parisienne retrouvera ses forces dans les grandes heures de la libération de Paris, fin août 1944. Avec elle, les Parisiens veulent se libérer, provoquer, être « swing », dicter enfin une vie rythmée sur la nuit. Nous voilà plongés dans l'itinéraire de ces lieux des enfants de la Libération.

Les bals populaires

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les bals sont condamnés moralement en France par le régime de Vichy, qui maintient leur interdiction ordonnée par la Troisième République dès la déclaration de guerre, le 9 septembre 1939. S'ils ferment officiellement, beaucoup de bals clandestins éclosent çà et là. Malgré des interdictions répétées, les bals subsistent pendant toute cette période, car ils ne sont pas qu'un simple divertissement.
À la Libération, où l'on danse et on chante dans les rues, les bals retrouvent une glorieuse décennie. Après quatre ans d'interdiction, les bals musettes foisonnent, tandis que d'autres s'inspirent du jazz introduit par les troupes américaines. Ils sont aussi l'expression incontournable de la victoire. Les formations amateurs voient le jour. On ne se prend plus la tête. Les troupes se forment et les doigts se remettent à presser les pistons des instruments à vents. Au Moulin de la Galette (83, rue Lepic, Montmartre), on rencontre encore, comme avant-guerre, les "midinettes" (ouvrières de la mode) comme on trouve les "bonnes" et les femmes de chambre à la salle Wagram (39, avenue de Wagram, 17e).
Le Bal Blomet (ex « Bal Nègre ») est un bon exemple de la renaissance post-Libération. Terre d'accueil des artistes de Montparnasse (Fujita, Picabia, Zadkine, Chagall, Man Ray…), les murs du 45, rue Blomet ont forgé le patrimoine nocturne parisien. Ce dernier reprend du service en 1945, après avoir cessé toute activité pendant l'Occupation, sur ordre allemand. Reparti avec une autre dynamique et l'impulsion d'autres orchestres, le Bal Blomet continuera de faire danser Paris jusqu'en 1962.

Les espaces publics renaissent

Le square Viviani

Situé dans le 5e arrondissement, ce lieu représente l'un des symboles de la Libération et constitue une des clés de réappropriation du sol parisien par les Parisiens. En effet, dans les derniers jours de la Libération, les Parisiens lèvent la barricade du square Viviani, érigée pour empêcher les accès à Notre-Dame par les ponts Montebello, Saint-Louis, pont au Double et Petit Pont. Les Parisiens feront renaître petit à petit la douceur de cet endroit de passage et de charme, qui joint le Paris des libraires et des antiquaires au Paris de Notre-Dame.

Le jardin du Luxembourg

Le jardin du Luxembourg reprend peu à peu de ses couleurs, lui aussi. Épicentre des derniers affrontements des divisions de blindés, ce lieu de quiétude a bien failli disparaître sous les bombardements. Après la Libération, il sera à nouveau le théâtre des siestes dans l'herbe, des grands promenades des Parisiens lascifs à l'automne, des mômes du 6e arrondissement y faisant leurs premiers pas… Bref, le jardin du Luxembourg comme on l'aimera toujours.

Le style musical après la Libération

Les music-halls et les cinémas sont encouragés pendant l'Occupation. L'occupant allemand pousse Paris à reprendre ses activités nocturnes. Les grandes salles de spectacle comme Les Folies Bergère, l'Alhambra, en passant par l'Alcazar ou l'ABC rouvrent. Mais le cœur n'est pas encore à la fête. Quand sonne la Libération en 1944, la chanson devient, côté anglais, une arme de résistance pour tourner en ridicule l'oppresseur vaincu. Les textes des chansons sont détournés. La chanson populaire se pique d'insolence et, par la moquerie, cherche à ridiculiser l'Allemagne dont la fin est proche. Les humoristes trouvent le moyen de redonner espoir, n'hésitant pas à transformer les messages de Vichy pour qu'ils se retournent contre eux. L'illustre Pierre Dac popularisera « La Cucaracha » avec ce vers devenu aujourd'hui célèbre: « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ».
En 1939, à la suite de la déclaration de guerre à l'Allemagne, un certain soldat Contandin est mobilisé pendant cette « drôle de guerre » à Marseille. Ce soldat, c'est Fernandel. Illustre acteur de l'époque, à la bouche chevaline, presque aussi connu que le général lui-même. Dès le début de la guerre, Fernandel l'avait bien senti et prévenait déjà ses contemporains du danger imminent et chantait: « Méfie toi Francine…» Ces chants populaires seront repris par les Parisiens libérés, comme pour rire au nez des Allemands.

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Cette époque de libération souligne aussi l'élan de curiosité française pour la musique américaine. À la vue des soldats américains dansant dans les rues de Paris et les cantines militaires sur de simples musiques « de danse », les Français veulent y apposer leurs mots. Sans oublier leur accent, seul moyen de se différencier et de moquer gentiment les tubes d'outre-Atlantique arrangés par Glenn Miller, les Andrew Sisters… Les deux langages se mêlent alors dans des titres phares de la Libération qui marquent l'amitié franco-américaine, comme avec le titre à succès « Oh! la! la! » de Jacques Pills (1945) reprenant les pérégrinations d'un soldat américain fraîchement débarqué en France avec un français bancal.

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Une musique, plus technique et démonstrative, qui prendra d'assaut la seconde moitié du XXe siècle, va alors devenir la bande son de ces enfants du "Paris retrouvé". Combinant chorus et solo d'instruments, elle symbolise le désir brûlant de la jeunesse de jouir, de profiter, de swinger sur des rythmiques endiablées. Avec elle, Paris retrouves ses couleurs et un art de vivre qu'elle fera sien.

Le Paris jazz de 1947

La libération de Paris, c'est aussi un concert de nations alliées. Les divisions américaines s'installent quelque temps dans la capitale française pour profiter de la liesse populaire autour de leur héroïsme. Avec eux, ces vinyles un peu abîmés par le voyage. Et cette musique qui crache et envoie tout voler: le jazz!
Le Tabou, anciennement Le Caveau des Lorientais (33, rue Dauphine, 6e) , est une des premières caves-clubs du cercle de noctambules de St-Germain-des-Prés. C'est le lieu de retrouvailles privilégié des amoureux de jazz, les « zazous », mais aussi d'intellectuels et des existentialistes. Pour autant, sa réputation (mise à mal par l'ouverture d'un club jazz Le club St-Germain au 13, rue Saint-Benoît, 6e) fut grandie, non pas par ces intellectuels, mais par les journalistes américains, curieux de relater la vie de ces lieux d'inspiration dans les colonnes de la presse internationale.
Le Tabou, rue Dauphine
Crédit photo : ©Roger-Viollet
Ouvert en avril 1947, ce n'est qu'un petit écrin en sous-sol, idéal pour jouer de la musique et ne pas déranger les voisins. Il y a une seule boisson à la carte: le rhum-coca, breuvage directement importé par les Américains. Et un seul orchestre jazz sur scène! C'est autour de Boris Vian, redoutable trompettiste respecté, et de ses frères Alain et Lélio, que se crée l'orchestre du Tabou. « Très vite, Le Tabou est devenu un centre de folie organisée », écrit Boris Vian dans son Manuel de Saint-Germain-des-Prés (1951). Mais peu à peu, le style musical à la mode évolue et Le Tabou est relégué au second plan au profit d'autres adresses sur les quais, vers Saint-Michel…

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Au lendemain de la guerre, la rive gauche et le quartier de Saint-Germain sont remplis de lieux désaffectés. C'est là que les artistes et noctambules décident d'ouvrir leur cabaret pour jouer leur propre spectacle et s'accompagner d'autres artistes. Même si l'on est loin des grandes scènes prestigieuses sous les lumières des projecteurs, ces cabarets sont empreints d'une nouvelle énergie. On y chante. On y joue. On y rit. À Paris désormais, dès que le soleil se couche, une autre ville apparaît. Ces cabarets sont le Colis bais, l’Écluse, le Lapin Gilles, L'Échelle de Jacob, L'Arlequin…
S'ils refusent le divertissement commercial qu'offrent les "boîtes" plus luxueuses de la rive droite, ces cabarets aux références littéraires et cinématographiques prônent une fête plus métissée et excentrique où les personnalités se mélangent: le boxeur Panama Al Brown convole avec Jean Cocteau et boit sans soif aux côtés de Joséphine Baker.

"Détente" et frivolité

Paris cultive encore à l'époque sa réputation de capitale des charmes, héritée de la Belle Époque. Alors que les maisons closes et autres "bordels" parisiens sont les lieux de compromission du pouvoir pendant l'Occupation, à la Libération, ils redeviennent la propriété des tenanciers et tenancières locaux. Les Allemands avaient en effet réquisitionné les plus prestigieux clubs de plaisirs pour avoir un contrôle sur cet "Empire de la nuit" . On recense une centaine de ces lieux à l'époque.
Parmi ces lieux emblématiques où le "Tout-Paris libéré" vient s'oublier dans des draps de satin, on peut citer la maison close Le Chabanais (12, rue Chabanais, 2e). Située non loin des jardins du Palais-Royal, cette maison close aux allures discrètes fut l'une des plus luxueuses d'Europe, fréquentée par des célébrités venues de toute l'Europe - Salavador Dali y avait ses habitudes avant la fermeture, en 1946.
Tout aussi connu, le One-Two-Two (122, rue de Provence, 2e). Lieu de détente de "l'après-travail", de nombreux officiers de l'Armée allemande y viennent profiter des services des jeunes pensionnaires. Pas loin du boulevard Haussmann et du magasin Le Printemps, il doit son nom aux hommes qui l'évoquaient en langage codé devant leurs femmes, "Rendez-vous au One Two Two" pour 122… On y mange sur place à la Table "Le bœuf à la ficelle" ; on y boit , on y danse , on y rit. C'est tout un écosystème qui s'épanouit au One-Two-Two: de Sacha Guitry à Jean Gabin, en passant par Chaplin et Humphrey Bogart. Tous viennent s'adonner à un peu de légèreté dans ce Paris libéré.
Le Sphynx (31, boulevard Edgard-Quinet, 14e), aux décors d'inspiration néo-égyptienne, est la troisième adresse incontournable de l'époque. Ce "lupanar de luxe" reprit l’emplacement d’un ancien marbrier funéraire, dont le sous-sol était en communication directe avec les catacombes. Pour toute urgence, ce lieu offrait un repli discret sous les rues de Paris. C'est aussi l'époque où l'occupant farouche laisse place peu à peu aux criminels et autres gangsters parisiens, avides de reprendre du service. Tenu par des gangsters corso-marseillais spécialisés dans la gestion de bordels sur la Côte d'Azur, le Sphynx accueille magouilles et affaires mafieuses entre la France et l'Italie. En tout bien tout honneur.
Enfin, La Fleur Blanche, maison close (6, rue des Moulins, 1er) célèbre pour avoir accueilli le peintre Toulouse-Lautrec qui y aurait trouvé l' inspiration pour de nombreux dessins et croquis. Fermé en 1946 comme les autres maisons closes, cet établissement était célèbre pour le superbe décor de ses chambres et… pour sa salle des tortures située dans la cave!
Une musique, plus technique et démonstrative, qui prendra d'assaut la seconde moitié du XXe siècle va alors devenir la bande son de ces enfants du "Paris retrouvé". Combinant chorus et solo d'instruments, elle symbolise le désir brûlant de la jeunesse de jouir, de profiter, de swinger sur des rythmiques endiablées. Avec elle, Paris retrouve ses couleurs et un art de vivre qu'elle fera sien.
Même si certains lieux ne sont plus que la propriété du passé, le Paris de l'époque marque encore celui de maintenant. Du "Paris libéré" au "Paris retrouvé", il a fallu beaucoup de temps aux Parisiens et Parisiennes pour renouer avec cet esprit de fête. Symboles forts de cette époque, ces lieux marquent cette retrouvaille amoureuse et libre entre une ville et ses habitants.

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